[…] Malgré le progrès sous toutes ses formes, malgré les échanges humains, économiques et sociaux accrus, rien n’a beaucoup changé entre Québec et Lévis. Et malgré l’impatience des Québécois et des Lévisiens, les gouvernements n’ont encore rien fait. Et grand Dieu, ils ne semblent pas prêts de bouger !
Preuve que le dossier d’un troisième lien dans la région de Québec n’a rien de nouveau, cette citation provient du journaliste Léon Bernard de La Presse dans le cahier Perspective du 2 juin 1973 dans un article intitulé Entre Québec et Lévis bien des projets sont tombés à l’eau.
Cet article étoffé présente un récapitulatif du dossier d’un troisième lien dans la région de Québec. Je vais vous en présenter les grandes lignes et vous ne pourrez que constater que les mêmes problématiques par rapport à ce projet reviennent souvent dans le débat.
Les problèmes de traversiers
M. Bernard rappel que malgré la construction du pont Laporte à 182 mètres à l’ouest du vieux pont de Québec et à 13 km du centre des deux villes de Québec et Lévis que ce pont a permis de dégager la banlieue et d’accélérer la circulation des voies périphériques mais qu’il n’a rien changé pour Québec et Lévis.
La mise en service d’un tout nouveau traversier, le NM Alphonse-Desjardins fabriqué au chantier Davie en 1971, a fait croire que celui-ci réglerait partiellement le problème en augmentant le nombre des usagers de la traverse, mais on s’est bien vite aperçu que cette solution n’était en fait que du bricolage. « Une fois de plus, le progrès s’est fait à reculons ». L’auteur rappelle que le navire entre décembre 1971 et mars 1972 a dû être retiré du service une quinzaine de fois pour totaliser quelque 500 heures de réparation.
Cette problématique avec les traversiers en 1971-72 est non sans rappeler les problèmes qu’éprouve la Société des Traversiers du Québec avec le navire NM F.-A.-Gauthier construit en 2015.
Le tunnel en 1965…
En 1965, le troisième lien sous forme de pont ou de tunnel, les habitants de la région croyaient bien l’avoir enfin quand des ingénieurs et constructeurs américains obtinrent des municipalités riveraines l’autorisation de construire un tunnel sous le fleuve. Études et sondages allèrent bon train… jusqu’au jour où l’ex-premier ministre Jean Lesage vint jeter une douche froide sur tous les espoirs en déclarant que des géologues qui avaient étudié le lit fluvial y avaient décelé une faille importante. La fameuse faille Logan.
Pourtant, le sous-ministre des Transports (on disait de la voirie à l’époque), l’ingénieur Eddy Monette, a déclaré au Château Frontenac à une réunion du club Kiwanis, le 24 octobre 1968, que « contrairement à une supposition fréquemment mentionnée, il n’y a pas de preuve positive d’une faille importante dans le lit du fleuve, dans la région du pont de Québec ». Il y a quelques failles, poursuivit le sous-ministre, mais « elles sont très vieilles et les géologues qui les ont étudiées considèrent qu’elles sont inactives ».
Comme quoi les mêmes rengaines (ou discours des lobbyistes ?) sont sans cesse de retour dans le débat, cette problématique de la faille Logan a fait beaucoup parler d’elles en 2016 dans nos médias ce qui amena même le premier ministre, M. Philippe Couillard à faire le point sur cette supposée contrainte à un troisième lien.
Dans des propos rapportés par ICI Radio-Canada, le premier ministre affirmait que « la seule étude qui est terminée et je peux en donner les conclusions larges, c’est l’étude géologique sur la faille Logan qui ne semble pas être un obstacle à un projet éventuel ». C’est cette étude citée par M. Couillard qui permis de lancer les études de faisabilité avant de conclure que « ça ne sera pas demain, ça prend du temps à faire » avait-il dit.
Un rêve dès 1946
Bien avant l’arrivée au pouvoir du gouvernement Lesage, déjà certains idéalistes rêvaient d’une liaison Lévis-Québec de centre à centre. En 1946, un jeune architecte de Lévis, Joseph Vallières, avait imaginé un tel pont entre les deux villes. Son projet de pont fut présenté à la Jeune Chambre de commerce de Lévis en 1946. Le panorama présenté par Vallières offrait un pont suspendu reliant directement les deux centres-ville, le « pont, disait-il, qui loin de nuire à la beauté du site de Québec apporterait au contraire de l’intérêt en remplissant le grand vide qui surplombe le fleuve ». Son plan : deux voies doubles élevées à 200 pieds et plus au-dessus du fleuve pour ne pas entraver le passage des paquebots géants de l’avenir. Pour éviter l’encombrement aux extrémités, les approches d’entrées et de sorties sont étagées à des niveaux et angles différents: à Québec, coin Saint-Louis et d’Auteuil avec sortie qui enjamberait le mur à l’Esplanade pour se raccorder à l’autoroute Dufferin-Montmorency; à Lévis, aux environs des rues de l’Arsenal et Saint-Louis puis en ligne via la route des Buissons pour rejoindre la route 20.
En plus du pont présenté, le projet incluait aussi un toit en plastique pour le cheminement des piétons et utilisation fonctionnelle des tours des deux piliers. Au sommet de l’un, stations de radar, de radio et autres services utiles à la navigation; dans l’autre, restaurant panoramique et observatoire complétaient le tout !
Les folles sixties
Les années 1960 ont été généreuses en projets de toutes sortes pour un troisième lien dans la région de Québec. Le nouveau pont n’était pas encore sorti de terre que déjà on rêvait à un autre lien plus à l’est de Québec.
En 1965, le projet Lennut (tunnel à l’envers ??) a fait beaucoup écrire et beaucoup parler. Ce projet de sections de béton précoulées dans le lit du fleuve aurait eu deux voies dans chaque direction. Ce tunnel, reposant au fond de l’eau — comme pour le pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine à Montréal — laissait un minimum de 50 pieds d’eau à marée basse pour le passage des navires, avec accès, à Lévis, sur l’autoroute 20 et, à Québec, sur les boulevards Champlain et Charest. Estimé à quelque 78 M$ en 1967, le projet autorisé par la Ville de Québec ne le fut pas par les gouvernements provincial et fédéral quoique, selon le maire Gilles Lamontagne, des études préliminaires concluaient que ce projet était techniquement réalisable. La firme Lennut Limited, incorporée selon la loi de l’État du Delaware, obtint en 1965 un privilège de 18 mois pour des études préliminaires en vue de la construction d’un tunnel Québec-Lévis.
En 1968, le fameux rapport Vandry-Jobin présente son imposant plan de transport. Le plan Vandry en plus de prévoir toute une panoplie d’autoroutes inclut également un nouveau pont entre Québec et Lévis. Rejetant la construction d’un tunnel, les ingénieurs de Vandry-Jobin ont estimé le coût d’un pont entre les villes de Québec et Lévis, à l’est, à quelque 130 M$, situant le pont à environ 2 km à l’est de la Citadelle, au-dessus de l’entrée du port. Quoiqu’ils concluaient à sa nécessité pour 1980-90, la capacité limite des deux ponts de Sainte-Foy devant selon eux être atteinte en 1987, ils souhaitaient sa construction plus tôt pour éviter les encombrements déjà connus au vieux pont de Québec. Quant à l’esthétique du projet, le rapport affirme qu’un pont suspendu moderne ne peut nuire au cachet de la vieille ville et que « vu du vieux Québec, il peut même constituer un atout esthétique et touristique supplémentaire. »
Le journaliste Bernard évoque aussi le fait que le gouvernement Lesage a envisagé un pont-tunnel entre la municipalité de Montmorency sur la rive nord et Beaumont sur la rive sud, via Sainte-Pétronille de l’île d’Orléans. Le ministre des transports de l’époque, M. Bernard Pinard, semblait même donner sa préférence à ce projet de liaison pont-tunnel Montmorency-Beaumont qui serait accessible sur la rive nord par l’autoroute Dufferin-Montmorency dont les voies plongeraient sous le lit du chenal sud à la pointe de Sainte-Pétronille pour déboucher à Beaumont sur l’autoroute 20.
Les téléphériques, funiculaires et autres solutions…
L’article se termine en mentionnant que des solutions qui ne manquent pas d’originalité ont été avancées pour relier Québec à Lévis. Le maire Gilles Lamontagne et plus tard le ministre des transports de l’époque ont admis avoir étudié la possibilité de construire un téléphérique entre les deux rives pour remplacer les traversiers.
Un funiculaire comme on en voit dans les Alpes a également mérité l’attention des experts du ministère des Transports. « Si ce genre de transport par cabine suspendue sur câbles est réalisable en Europe, de conclure le ministre, pourquoi ne le serait-il pas ici pour franchir le fleuve ? »
L’auteur termine son article avec humour avec ces mots :
Le besoin d’un lien direct entre les rives nord et sud vis-à-vis Québec et Lévis est devenu à ce point urgent, non seulement pour la population immédiate de près d’un million de personnes qu’il pourrait rapprocher mais aussi pour la circulation routière venant à Québec de l’est des côtes nord et sud du fleuve, que les suggestions les plus farfelues pour hâter sa réalisation ont été lancées dans le public: elles vont de la corde raide à la fermeture éclair en passant par les échasses géantes et un réseau de cigognes, format familial… En définitive, l’un de ces beaux projets finira bien par ne pas tomber à l’eau !
Pour en savoir plus :
=> Le numéro de Perspectives dont est tiré l’article est disponible dans la BAnQ ICI.
=> Le fameux rapport Vandry-Jobin.